M. Bernard Ho Dac
« J'admire beaucoup mon père et je pense à la façon dont il bricolait des avions grâce à ses mains expertes et à sa persévérance. Je crois que les Vietnamiens sont créatifs et que, face à un défi, ils trouvent toujours des solutions pour le surmonter… »
L'homme aux cheveux argentés et au visage élégant a prononcé les mots ci-dessus en français avec émotion, lors d'un échange avec des étudiants de l'Académie d'aviation de Ho Chi Minh-Ville fin octobre 2024.
Cette année, à 67 ans, d'origine vietnamienne et française, M. Bernard Ho Dac visitait le Vietnam pour la première fois, ravi de découvrir les merveilles et les curiosités de son pays. Ceux qui le rencontraient étaient, au contraire, surpris d'entendre l'histoire d'une famille vietnamienne passionnée d'invention, passionnée de créativité malgré les épreuves…
Lorsque vous naissez, vous devez être déterminé, avoir de l'ambition et persévérer dans la recherche de bonnes choses et de nouvelles choses...
M. HO DAC CUNG
Les étudiants de l'Académie d'aviation ont rencontré M. Bernard Ho Dac le 24 octobre 2024
Ils avaient tort...
M. Bernard a un nez occidental haut perché, des yeux brillants, une attitude douce et une touche de beauté asiatique. Début octobre, lors de notre rencontre dans un café parisien après la sortie de mon livre sur l'Indochine antique, il m'a annoncé qu'il partait au Vietnam et souhaitait en savoir plus sur sa famille et sa ville natale.
Il m'a montré des photos de son père, décédé 40 ans plus tôt. Sur la photo, on voyait un jeune Vietnamien mince, souriant avec enthousiasme, tenant une grande hélice d'avion à la main…
En 1933, à Saïgon, un jeune homme commença à réaliser son rêve de voler dans le ciel de son pays avec son propre avion. À l'époque comme aujourd'hui, ce rêve était encore très fantaisiste et difficile à réaliser.
En effet, à cette époque le Vietnam était une colonie, les Français n'avaient fait venir que quelques escadrilles aériennes, même en Europe et en Amérique, le vol amateur et le « jeu avec les avions » en étaient encore à leurs balbutiements.
D'un autre côté, construire un avion nécessite un atelier précis et des ressources humaines adaptées. Pourtant, le jeune Ho Dac Cung, né dans une famille d'agriculteurs à Cai Lay, dans la province de Tien Giang , avait étudié l'ingénierie électrique en France et était revenu travailler à Saïgon, déterminé à y parvenir.
M. Ho Dac Kinh et M. Bernard Ho Dac avec l'auteur devant la statue de Tran Hung Dao
Cependant, une fois la structure de l'avion terminée, M. Cung ne trouva pas de moteur en Indochine. Il dut donc en commander un en France, mais les fonds lui manquaient. La nécessité étant mère d'invention, M. Cung demanda courageusement à la presse de recueillir des dons auprès de personnes partageant la même passion.
Malheureusement, à cette époque, il n'existait pas de concept ni de méthode de financement participatif pour soutenir les startups et les inventeurs comme aujourd'hui. La presse de l'époque rapportait que M. Cung n'avait récolté qu'un total de 17 piastres indochinoises.
En désespoir de cause, il écrivit avec audace une lettre pour faire directement pression sur le roi Bao Dai et reçut avec gratitude 300 pièces du jeune roi qui aimait le sport et la technologie moderne.
Grâce au parrainage du roi et à l'argent de ses amis et de sa famille, M. Cung acheta un moteur de Harley Davidson pour l'installer dans l'avion. Puis, malgré les doutes et les moqueries de beaucoup, Ho Dac Cung pilota le « sky bug » et décolla le 26 octobre 1935.
Le premier vol de cet avion « made in Vietnam » a eu lieu avec succès à Tan Son Nhat , qui n'était alors qu'un simple aéroport. Il a ensuite effectué des vols d'essai dans plusieurs autres villes du Sud. Il peut être considéré comme un pionnier du pilotage civil en Indochine.
En 1936, lors d'un vol, M. Cung eut un accident et dut atterrir d'urgence en forêt. Peut-être à cause de cet accident et faute de soutien continu pour la fabrication et l'amélioration d'avions, il se tourna vers la construction de maisons. Il partit ensuite en France pour créer une société d'ingénierie, puis en Tunisie, en Afrique du Nord, pour participer à des projets de forage pétrolier et gazier.
Avant de décéder en 1984, M. Cung racontait souvent à ses deux fils des anecdotes sur sa ville natale, ses ancêtres et sa carrière. Il leur a appris que pour explorer le monde, il faut être déterminé, avoir de l'ambition et rechercher le bien et le nouveau.
Il conseillait toujours à son fils de ne pas se décourager. Si quelqu'un critiquait son travail, il devait saisir cette occasion pour le réévaluer et prouver ainsi qu'il avait bien agi et qu'il était capable de le faire. M. Bernard se souvenait toujours de ce que disait son père : il y avait des Français à la mentalité coloniale, qui discriminaient les autochtones.
Ils surnommaient l'avion de M. Cung « le fer » en raison de sa forme et affirmaient qu'il ne pouvait que rouler sur la piste et non décoller. Cependant, en faisant décoller son avion artisanal, il leur a prouvé qu'ils avaient tort et qu'il ne fallait pas sous-estimer le peuple vietnamien !
Les frères Bernard visitent le temple de Thu Thiem et rendent hommage à leurs ancêtres
Les Vietnamiens ont toujours été des inventeurs et des créateurs. Cette lignée se transmet encore aujourd'hui de génération en génération et doit être nourrie et éveillée pour se renforcer.
M. BERNARD HO DAC
Le sang des braves et des compatissants
M. Bernard m'a montré le tableau de l'autel de ses grands-parents, que son père avait respectueusement disposé chez lui. Ayant vécu en France pendant des décennies, M. Cung a continué de transmettre les coutumes et la culture de ses ancêtres à ses enfants et petits-enfants, jour après jour.
Il a conseillé : « Nous sommes Vietnamiens, nous ne devons pas accepter le terme « Annamites » imposé par les colonialistes. » Bien qu'ils aient le même père mais des mères différentes, Bernard et son frère sont proches et se soutiennent mutuellement. Aujourd'hui, le frère de Bernard, l'ingénieur Ho Dac Kinh, a 93 ans, après 75 ans loin de son pays natal, et n'a pas peur de suivre son jeune frère au Vietnam.
Le 16 octobre, deux frères, les fils de M. Ho Dac Cung, débarquèrent à Saïgon, se remémorant les souvenirs de leur père. En les voyant marcher ensemble, j'ai vu partout M. Bernard tenir soigneusement la main de son frère à l'approche de marches basses ou d'endroits périlleux où ils risquaient de tomber.
L'un des premiers endroits de la ville que les deux hommes souhaitaient visiter était le garage Charner, un célèbre atelier de réparation automobile de l'époque française. C'est là que M. Dac Kinh avait été « assigné » par son père pour apprendre la réparation automobile alors qu'il n'avait que 10 ans.
M. Kinh demanda où se trouvait le centre commercial Charner, car il se souvenait vaguement que le garage Charner se trouvait juste à côté. Hélas, ce centre commercial n'était plus qu'un terrain vague, et le garage était toujours là, mais transformé en restaurant appartenant à l'hôtel Kim Do, boulevard Nguyen Hue. Lorsqu'ils y furent conduits, les deux hommes furent surpris par le spectacle complètement différent.
Mais par coïncidence, comme si quelqu'un d'en haut le bénissait, un ami gérant lui raconta que son père était mécanicien au garage Charner et confirma qu'ils étaient tous les deux au bon endroit. En entendant cela, M. Dac Kinh fut ravi, pensant avoir rencontré l'ombre de son père et lui-même d'autrefois.
Lors de mes visites en ville, M. Bernard m'interrogeait constamment sur le « conte de fées » de son père, mais s'intéressait aussi à de nombreuses questions historiques, passées et présentes. Arrivé au quai de Bach Dang, contemplant la statue de Tran Hung Dao et entendant le récit de l'exploit de vaincre l'armée mongole à trois reprises, il s'exclama : « Les Vietnamiens sont vraiment coriaces. »
Le journal Cong Luan a rapporté que M. Ho Dac Cung était également le premier Vietnamien à tester le parachutisme depuis un avion à une altitude de 600 m (journal Cong Luan, Saigon, 28 septembre 1936).
Lors de sa visite au temple de Thu Thiem, il fut surpris de constater la présence d'un autel dédié à saint Tran. Lui et son frère demandèrent la permission de brûler de l'encens et de s'incliner respectueusement devant les ancêtres héroïques. Lors de leur visite au Musée des Beaux-Arts et au Musée de la Ville, l'ancien palais Gia Long, ils m'interrogeèrent sur de nombreux détails historiques précis qu'ils étudiaient depuis longtemps.
M. Bernard a déclaré que depuis son plus jeune âge, il avait beaucoup entendu parler de la bataille de Dien Bien Phu et du général Vo Nguyen Giap. Nombreux sont ceux en France qui se souviennent encore de cette glorieuse bataille et de ce personnage talentueux !
Bernard et son frère ont passé trois jours à visiter leur maison paternelle dans le village de Ba Dua, commune de Long Trung, district de Cai Lay, et à visiter Can Tho. Bien que fatigués, tous deux étaient impatients de découvrir et de mieux comprendre leur pays natal et l'histoire de leur famille.
M. Bernard m'a montré des photos de ses voisins, de l'église familiale, de la généalogie, du cimetière et surtout de la terre natale de son père. Il était très intéressant de noter que l'ancêtre de la famille Ho Dac est venu de la région Centre pour reconquérir et établir de nouvelles terres au XVIIIe siècle, et qu'il est encore aujourd'hui commémoré et vénéré par les villageois.
M. Ho Dac Cung a un jour raconté à son fils le conseil de son arrière-grand-père selon lequel la famille devait partager une grande partie des bénéfices avec les métayers, ceux qui louaient les terres pour les cultiver. Est-il possible que la nature pionnière et l'amour mutuel de nos ancêtres aient engendré des personnes passionnées d'invention et amoureuses de leur pays comme M. Ho Dac Cung ?
À Ho Chi Minh-Ville, les frères Bernard ont également organisé une rencontre avec des étudiants du département d'ingénierie aéronautique de l'Université Polytechnique et des étudiants de nombreuses filières de l'Académie d'Aviation.
Vous avez tous exprimé votre intérêt à entendre l’histoire du premier Vietnamien à avoir construit un avion il y a près de cent ans, et avez posé de nombreuses questions sur la technologie et l’avenir de l’industrie aéronautique.
Bien que travaillant uniquement dans le domaine de la construction, avec sa connaissance approfondie du monde ainsi que de la haute technologie, M. Bernard a sincèrement partagé avec vous beaucoup de connaissances utiles.
Lui-même est un inventeur reconnu dans le domaine de l'utilisation de la technologie photosensible pour évaluer la durée de vie des ponts, des voies ferrées et des immeubles de grande hauteur. Il est actuellement directeur général du groupe OMOS et président du Syndicat français des inventions et des brevets (SYNNOV).
M. Bernard a confié, de manière intime, que, bien qu'il vive en France, il pense toujours au Vietnam. Il se réjouit de voir les étrangers surpris, et parfois même jaloux, du talent et de la volonté du peuple vietnamien.
Selon M. Bernard, les Vietnamiens ont toujours été des innovateurs. Cette lignée se transmet encore aujourd'hui de génération en génération et doit être nourrie et éveillée pour qu'elle puisse se développer à jamais !
En écoutant M. Bernard parler ouvertement aux étudiants, j'espère secrètement qu'il y aura davantage de « successeurs » créatifs du peuple vietnamien pour continuer à ajouter au feu, à former un flux fort, à connecter les générations, à construire ensemble un Vietnam pacifique et à atteindre des sommets plus élevés que jamais au 21e siècle, en surmontant la douleur et la perte que la nation entière a dû endurer au siècle précédent.
Le journal Cong Luan a rapporté que M. Ho Dac Cung était également le premier Vietnamien à tester le parachutisme depuis un avion à une altitude de 600 m (journal Cong Luan, Saigon, 28 septembre 1936).
M. Bernard m'a montré des photos et des articles de presse sur M. Cung en train de construire un avion en bois inspiré du Pou du Ciel - Sky Beetle de l'ingénieur Henri Mignet.
En cherchant sur Google, on apprend que M. Mignet était à l'origine un ingénieur radio français, mais qu'il est aujourd'hui un inventeur d'avions de renommée mondiale. Autodidacte, il a consacré beaucoup d'efforts à la construction de petits avions pour de nombreuses personnes partageant le même hobby : conquérir le ciel.
En 1931, M. Mignet publia les plans de l'avion dans un livre publié à Paris. C'est sans doute grâce à ce « secret » que M. Cung eut l'idée de construire un avion de ce modèle. Le frère de M. Bernard se souvient encore, enfant, qu'il voyait son père travailler jour et nuit à lisser l'hélice et de nombreuses autres pièces de l'avion.
Le journal Trang An, numéro 75, publié le 15 novembre 1935, rapporte : « Des nouvelles de Saigon indiquent que le petit avion de M. Ho Dac Cung, appelé « Ran Troi », a volé avec lui à l'aéroport de Tan Son Nhat un après-midi récent. L'avion a volé très haut, décollant et atterrissant comme prévu.
Il a fallu plusieurs réparations pour en arriver là. La première fois, M. Cung a essayé à l'aéroport de Tan Son Nhat : l'hélice tournait, mais l'avion ne pouvait pas décoller car la corde qui retenait les ailes tremblait. La deuxième fois, le 26 octobre, l'avion a décollé, mais en montant, il a piqué du nez, manquant de tuer M. Cung.
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