L'excursion pour la Fête du Printemps devait avoir lieu il y a six semaines. Une série de difficultés survint : le mauvais temps, la maladie des impératrices douairières et de leurs concubines, les difficultés causées par les régents, je ne sais quoi d'autre, tout cela provoqua un retard.
Nous avions fait ce voyage huit jours plus tôt, par un après-midi radieux. La veille, le long des routes empruntées par le cortège, drapeaux et bannières de toutes les couleurs flottaient au vent, et les habitants de la ville et des villages voisins avaient dressé de petits autels chargés de fruits, couverts d'ombrelles dorées, d'encensoirs et de lampes alignés.
Artistes de la cour royale de Hué
La fête commença par une visite au palais de l'envoyé impérial. Le roi, escorté de ses gardes coiffés de chapeaux rouges et peints, se dirigea vers le fleuve, où l'attendait la barge royale. Là, des hommes pieds nus, alignés aussi proprement que possible, certains brandissant des lances, d'autres des fusils. La scène était solennelle. La lumière du soleil faisait paraître les vieux vêtements plus neufs, et les gens admiraient les mandarins dans leurs magnifiques robes de cérémonie en soie, flanqués de porteurs de parapluies, de pipes et de plateaux de noix de bétel.
Une chaloupe, manœuvrée par une quarantaine de rameurs, remorquait le bateau royal. À la proue, le commandant, un mégaphone à la main, donnait ses ordres, arpentant la mer en gesticulant, l'air très ému par sa responsabilité, comme s'il commandait un patrouilleur en danger. Pour plus de sécurité, un serviteur dévoué, et surtout un bon nageur, nageait à côté du bateau pour sauver la famille royale en cas de naufrage.
La traversée dura dix minutes. Du quai à la Nonciature apostolique, les marins formaient une garde d'honneur. La distance était d'au plus 100 mètres. Le roi Thanh Thai resta assis dans un palanquin tout le long du trajet, majestueux, le regard fixe, les mains jointes, telle une statue de Bouddha. Sur le seuil, le roi gravit lentement et solennellement chaque marche, puis traversa le grand hall et le premier salon.
Un repas léger avait été préparé. À la table du roi, se trouvaient seuls le Résident, le Commandant de l'Armée et le plus haut gradé de la cour après le roi : Tuy Ly Vuong, fils du roi Minh Mang. Malgré son âge avancé, plus de 80 ans, il s'inclinait encore à la vue du roi. Il était étrange de voir ce vieil homme agenouillé devant un jeune roi, qui recevait l'hommage avec calme, le visage hautain, vêtu d'un long manteau d'or parsemé de pierres précieuses, brillant comme un reliquaire.
Cependant, une fois assis à table et le champagne versé, le roi Thanh Thai révéla sa vraie nature. L'idole fut remplacée par un beau garçon, observant d'un objet à l'autre avec curiosité et sautillant comme un moineau audacieux. Par la grande fenêtre, le jeune roi s'arrêta pour observer le groupe d'invités réunis dans la pièce voisine, autour de la table du banquet somptueusement dressée : une trentaine d'officiers et de fonctionnaires, mais aucune femme. Les femmes n'étaient pas autorisées à assister à de telles réunions.
La conversation se limita à des banalités. De plus, le roi se montra très avare : quelques mots sur l'ancien gouverneur général, un salut au nouveau gouverneur général, quelques questions sur un détail de l'intérieur, un tableau, un rideau, et c'était tout. Cependant, il était clair que le roi était de bonne humeur et cherchait à prolonger la visite. Les deux jeunes frères du roi Thanh Thai, deux enfants âgés de 8 à 10 ans, s'amusaient également. Vêtus de vert, ils se tenaient derrière le siège du roi, mangeant des gâteaux et des bonbons aux amandes tout en discutant.
Au bout d'une heure, le roi se retira, traversa de nouveau la rivière et poursuivit sa visite de la ville. Jusqu'au soir, la longue procession parcourut les deux rives du Dong Ba. Les habitants devaient se cacher chez eux en signe de respect : regarder le roi passer et le regarder était considéré comme un blasphème. Seuls quelques vieillards s'agenouillaient devant le petit autel où fumaient des brûle-parfums. Ceux qui avaient enduré les épreuves de la vie pendant longtemps bénéficiaient de certains privilèges.
En contemplant ce spectacle religieux, en voyant les têtes blanches s'incliner devant l'idole vivante dont le voyage apportait la bonne fortune à la ville, faisait fleurir les fleurs, mûrir les fruits, rendait les malades en bonne santé et donnait de l'espoir aux pauvres, j'ai compris à quel point l'adhésion aux coutumes et aux rituels traditionnels était profondément enracinée dans l'âme de cette nation, et ceux qui pensaient pouvoir les abolir tous sans délai étaient soit téméraires, soit naïfs.
Ce n'est qu'après le coucher du soleil que le cortège regagna lentement la ville. Les derniers hommes de l'escorte avaient disparu depuis longtemps, et on devinait encore le chemin emprunté par le cortège à la poussière qui s'élevait sous leurs pas, à la poudre dorée qui flottait dans l'air immobile. (à suivre)
(Nguyen Quang Dieu cité dans le livre Around Asia: Cochinchina, Central Vietnam, North Vietnam, traduit par Hoang Thi Hang et Bui Thi He, AlphaBooks - National Archives Center I et Dan Tri Publishing House publié en juillet 2024)
Source : https://thanhnien.vn/du-ky-viet-nam-le-nghinh-xuan-185241211224355723.htm
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