Un tissu spécial en fibre de verre détermine le sort de l'industrie mondiale de l'IA

Dans le monde technologique moderne, peu de gens s’attendraient à ce que le sort de l’ensemble de l’industrie mondiale de l’IA dépende d’un tissu produit par une entreprise japonaise vieille de 126 ans.

Il s'agit de Nitto Boseki (Nittobo), une entreprise textile traditionnelle qui détient désormais la clé de la révolution de l'IA. Curieusement, une entreprise textile, vous avez bien entendu. Et leur produit est un tissu unique au monde.

Au cours de l'année écoulée, les jets privés des plus grands dirigeants technologiques du monde, dont NVIDIA, Microsoft et AMD, se sont rendus à Tokyo avec une seule mission : convaincre Nittobo de leur vendre davantage d'un tissu connu scientifiquement sous le nom de « tissu de verre à faible dilatation thermique », ou simplement T-glass.

Le T-glass n'est pas un tissu ordinaire. C'est un matériau ultra-sophistiqué, apprécié pour sa stabilité dimensionnelle, sa rigidité exceptionnelle et, surtout, sa capacité à supporter des transmissions de données à haut débit, facteurs essentiels pour l'IA.

« Cette année, la majeure partie de la capacité de production de verre T haut de gamme de Nittobo a été réservée par NVIDIA, Microsoft, Google et Amazon », a déclaré un cadre d'un fabricant de circuits imprimés. « Tous ces fabricants de centres de données IA sont conscients de l'importance capitale du verre . »

Lors du processus d'encapsulation des puces d'IA avancées, les composants sont soumis à des températures et des pressions extrêmement élevées. Sans la rigidité du verre T qui empêche le substrat de se déformer, l'ensemble du processus de fabrication pourrait échouer, entraînant une explosion du taux de défauts des puces.

« La demande de verre T monte en flèche car sa rigidité peut aider à empêcher la flexion du substrat lors du conditionnement avancé des puces, ce qui est essentiel pour la productivité de la fabrication des puces d'IA », a expliqué un cadre supérieur d'Unimicron, le premier fournisseur mondial de substrats de puces.

Nittobo fournit du verre T à des fabricants de matériaux comme Resonac et Mitsubishi Gas Chemical, qui produisent des revêtements en cuivre pour circuits imprimés. Ces revêtements sont ensuite utilisés par les fabricants de substrats pour créer des mécanismes de puces avancés, qui servent ensuite à assembler et à conditionner des puces d'IA de NVIDIA et d'autres fabricants.

La pénurie de verre T est sévère depuis le second semestre de l'année dernière. Un dirigeant de Kinsus, fournisseur de NVIDIA et d'AMD, l'a décrite ainsi : « Si vous avez acheté une certaine capacité à Nittobo l'année dernière, votre allocation sera la même cette année, l'année prochaine et l'année suivante. Ce n'est pas comme si vous pouviez arriver chez Nittobo avec une grosse somme d'argent et en acheter davantage . »

Conscient de ces contraintes, Nittobo s'est engagé à investir 80 milliards de yens (550 millions de dollars) pour développer sa production de semi-conducteurs, avec pour objectif de doubler sa capacité à Taïwan d'ici mars 2028. Cependant, Hiroyuki Tada, PDG de Nittobo, se montre prudent : « Nous faisons tout notre possible pour éviter de perturber nos clients. Mais ce n'est pas le moment de faire de grandes promesses d'augmentation de capacité . »

Nittobo rappelle à quel point des fabricants de matériaux, apparemment inconnus, sont essentiels à l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement technologique mondiale. Le Japon en compte un grand nombre : le film de construction Ajinomoto est essentiel à tout substrat de puce haut de gamme, les résines photosensibles haut de gamme de Shin-Etsu et JSR sont indispensables à la fabrication de puces avancées, et le CCL avancé de Resonac est utilisé dans tous les serveurs haut de gamme.

TJ Tseng, président d'Unimicron, l'un des deux seuls fournisseurs de substrats haut de gamme pour les puces d'IA de NVIDIA, a confirmé que les contraintes sur les substrats de puces haut de gamme persisteraient l'année prochaine. Nittobo, dont les racines remontent à une usine fondée en 1898, a enregistré un chiffre d'affaires de 109 milliards de yens au cours du dernier exercice, soit une hausse de 17 % par rapport à l'année précédente. La marge d'exploitation de l'entreprise est passée de 9 % à 15,1 %, principalement grâce à la demande d'applications d'IA.

« De nombreux fabricants japonais de matériaux occupent des positions clés dans des technologies spécifiques, car ils ont consacré des années à la qualité et à des solutions haut de gamme », a déclaré David Dai, analyste chez Bernstein Research, spécialisé dans la chaîne d'approvisionnement japonaise des semi-conducteurs. « Cependant, la plupart des entreprises japonaises privilégient une croissance régulière et constante plutôt qu'un développement rapide de capacités importantes lorsque la demande augmente . »