Les États-Unis peinent à développer le missile hypersonique

Le 12 décembre 2024, sous le ciel de Floride, à la base spatiale de Cap Canaveral, l'armée américaine attendait, le souffle court. Un gigantesque transporteur, attelé à un camion tactique M983, soulevait un conteneur presque à la verticale. À l'intérieur se trouvait l'arme hypersonique à longue portée (LRHW) de l'armée, un système qui, jusqu'à récemment, avait suscité de vives protestations et frustrations de la part de l'opinion publique.

Ce fut un moment crucial dans le test baptisé « Canaveral Gamble », conçu pour prouver que le programme phare américain de missiles hypersoniques lancés au sol avait finalement surmonté les problèmes qui l'avaient empêché de voler.

Dans un rugissement, le missile fut tiré et s'élança vers l'est, en direction de l'Atlantique. Pour les observateurs, ce fut un spectacle spectaculaire. Le Pentagone y vit un moment de rédemption programmatique. Il s'agissait du premier tir réel « de bout en bout » du système LRHW, intégrant le lanceur mobile et le Centre d'opérations de la Forteresse dans une configuration pleinement opérationnelle.

Tout au long de l'année 2023, le LRHW a été miné par l'incompétence technique de l'équipe de recherche conjointe composée de neuf membres du consortium. Deux lancements prévus en mars et en septembre ont été annulés lors des vérifications préalables au vol. L'armée américaine a imputé ces échecs non pas à la fusée sophistiquée elle-même, mais à des « problèmes d'ingénierie mécanique » du lanceur fabriqué par Lockheed Martin.

Mais le succès de décembre 2024 a bouleversé cette histoire. Il a non seulement validé le missile, mais aussi l'ensemble de l'écosystème terrestre conçu pour en faire une menace crédible sur le champ de bataille. Quelques mois plus tard, le 24 avril 2025, l'armée américaine a officiellement baptisé le LRHW « Dark Eagle ».

« Dark » a été choisi pour représenter la capacité de l’arme à « détruire les capacités ennemies », tandis que « Eagle » honore le maître chasseur, une reconnaissance de la combinaison de vitesse, de précision, de maniabilité et de capacité de survie que le système promet.

Le Dark Eagle représente une classe d'armes appelées véhicules hypersoniques à propulsion planante, une technologie qui transforme radicalement la dynamique des attaques à longue portée. Ses performances allient puissance brute et sophistication aérodynamique, conçues pour être imprévisibles et donc extrêmement difficiles à contrer. Comme l'ont répété à maintes reprises les Russes à propos de leurs nouveaux missiles.

Le Common Hypersonic Glide Vehicle (C-HGB) est le cœur de l'arme, fruit de plusieurs décennies de recherche américaine sur les avions hypersoniques. Sa conception remonte à l'expérience Sandia Winged Reentry Vehicle des années 1980 et, plus directement, au programme d'arme hypersonique avancée de l'armée, dont les essais ont débuté dans les années 2010.

Il est important de noter que le Dark Eagle est une arme non nucléaire. Sa létalité provient d'une ogive C-HGB à énergie cinétique. Il ne possède pas d'ogive explosive traditionnelle. Il s'appuie plutôt sur sa vélocité extrême pour générer une énergie cinétique considérable à l'impact, suffisante pour, selon les termes de l'armée américaine, « détruire » même les cibles les plus résistantes.

Le C-HGB est une pièce d'ingénierie sophistiquée, comprenant non seulement l'ogive, mais aussi un système de guidage avancé, un câblage interne et un bouclier thermique essentiel pour résister aux températures caniculaires de 1 649 °C (3 000 °F) causées par le frottement atmosphérique à vitesse hypersonique. Pour atteindre sa vitesse et son altitude opérationnelles, le C-HGB est équipé d'un propulseur d'appoint à propergol solide à deux étages de 88 cm de diamètre.

L'arme est lancée depuis un lanceur transporteur-érecteur (TEL), un lanceur mobile massif composé d'une remorque M870A4 modifiée tractée par un camion tactique robuste Oshkosh M983. Cette mobilité est essentielle : elle permet à une batterie de se déployer rapidement en position de lancement, de tirer le missile et de poursuivre sa route – une tactique de tir et de fuite qui rend le ciblage et la destruction très difficiles pour les adversaires.

Dark Eagle est un système de missile balistique intercontinental (HGV) mobile et armé de manière conventionnelle, conçu pour offrir une flexibilité tactique et opérationnelle. Il a une portée moyenne d'environ 2 776 km et une vitesse maximale annoncée de Mach 17.

La mission principale du Dark Eagle de l'armée américaine est de briser les défenses ennemies avancées, notamment les réseaux d'interdiction d'accès/de zone (A2/AD). Sa vitesse et sa maniabilité imprévisible lui permettent de pénétrer les zones défensives et de mener des frappes de précision contre les cibles les plus importantes, avec un maximum d'efficacité.

Le Dark Eagle est l'une des munitions conventionnelles les plus coûteuses de l'arsenal américain. Le budget proposé par l'armée pour ce programme pour l'exercice 2025 s'élève à 1,282 milliard de dollars, dont 744 millions pour l'acquisition de missiles et 538 millions pour la recherche, le développement, les essais et l'évaluation. Chaque missile Dark Eagle devrait coûter 41 millions de dollars. À titre de comparaison, le dernier missile nucléaire lancé depuis un sous-marin, le Trident II-D5, ne coûte que 31 millions de dollars.

Plus inquiétants peut-être que son coût, les doutes persistants sur les performances réelles de l'arme au combat. Le responsable des essais du Pentagone a lui-même émis de sérieux signaux d'alarme. Un rapport de 2024 de la Direction des essais et de l'évaluation opérationnels (DOT&E) a rendu un verdict sans appel : « Les données sont insuffisantes pour évaluer l'efficacité opérationnelle, la létalité, l'adéquation et la survivabilité du système LRHW. »